Humour noir et absurde, dungeon crawl, ultra-violence et critique sociale : voilà la recette de Dungeon Crawler Carl. Signée Matt Dinniman, la saga de LitRPG est partie pour devenir l’une des œuvres phare de la fantasy de cette décennie.
Il y a un peu plus de dix ans, un genre littéraire a commencé à faire des vagues au sein du Web : la littérature RPG ou LitRPG. Mélange des codes des jeux de rôle avec le format narratif romanesque, ces œuvres d’abord amateurs, ont progressivement commencé à conquérir le mainstream notamment à travers les mangas, les webtoons et les animes.
Dungeon Crawler Carl : c’est quoi le délire ?
La saga littéraire de Dungeon Crawler Carl s’inscrit dans ce genre, mais il vient de l’occident. Ici, Matt Dinniman mélange le principe du donjon des JDR avec la téléréalité. Un soupçon de science-fiction avec l’inclusion d’extraterrestres ainsi que de la baston bien grotesque pour appuyer le ton mêlant survie et humour et la série s’impose comme l’un des gros succès récents.
Pour résumer le concept, je le qualifierai d’une variante de Battle Royale ou d’Hunger Games, pour l’aspect jeu télévisé meurtrier, mais avec l’humour d’un Ork de Warhammer 40K : crue et satyrique. L’histoire prend place dans un futur proche. L’humanité est littéralement vendue par ses élites à une fédération extraterrestre qui transforme la Terre en un gigantesque jeu télévisé sadique. Les survivants, humains ou non parmi la population sont forcés de participer à ce dungeon crawler sanglant, retransmis en direct pour le plaisir d’un public alien décérébré.
Voici notre protagoniste : Carl. Ancien garde-côte, Carl n’est qu’un gars ordinaire. Fraîchement célibataire, il poursuivait son chat persan (ou plutôt celui de son ex) quand l’invasion a commencé. Bien que pratiquement nu et sans arme, il parvient à survivre au premier étage du donjon. C’est donc accompagné de la chatte Princesse Donut, qui s’avère être un psychotique hyper intelligent, qu’il descend les étages de ce donjon. Là, il fait face aux autres participants, aux ennemis, aux pièges et aux règles absurdes.
Dungon Crawler Carl se présente comme un roman de fantasy dungeon crawler dans un cadre de science-fiction dystopique. Mais derrière ces blagues, qui détendent le lecteur et les personnages, Dinniman fait surtout une satire de la société du spectacle. Ce jeu mortel, c’est une parodie exacerbée des extrêmes auxquelles cette dernière a recours. Le public en raffole, parfois aux dépens des participants, bien que certains se prêtent volontiers à la compétition.
Pourquoi le succès de la série ?
Dungeon Crawler Carl est un mélange qu’aucun éditeur n’aurait approuvé de base. Pourtant, la série est régulièrement en tête des classements Amazon Kindle dans ses catégories et il gagne de plus en plus de notoriété via les discussions sur les forums et sur YouTube. Et la saga n’est pourtant pas encore achevée.

Les critiques littéraires saluent plusieurs qualités quant à l’œuvre de Matt Dinniman. Son univers, d’abord avec un Donjons & Dragons en version télé-réalité alien, qu’on pourrait même comparer à un actual play pervers. D’ailleurs, comme on est dans la LitRPG, on a des mécaniques qui entrent en jeu tel que l’analyse des créatures avec leur niveau, leur force et leurs faiblesses, mais aussi des loots et même des achievements. On assiste à la progression de Carl à travers ces nombres.
Le protagoniste de Dungeon Crawler Carl : un anti-héro actif dans une série rythmée
Bien que le sujet soit très sérieux, car il critique notre divertissement contemporain, Dungeon Crawler Carl le fait avec humour. D’abord à travers Carl, un protagoniste plus anti-héros que héros. S’il n’a pas la couardise de Ciaphas Cain, il a son ton un peu grossier et râleur, mais surtout terre-à-terre.
Son humour et son franc-parler décalés sont en fait ses moyens de faire face à sa nouvelle réalité selon Dinniman. Et ils créent des situations où le contraste entre les enjeux mortels et la désinvolture des dialogues donne son énergie au récit. Pour citer de nombreux retours, positifs comme négatifs, on ne s’ennuie pas avec Carl et Donut.
Dans cette comparaison avec Cain, Carl et le commissaire impérial ont aussi un autre point en commun qui les rend attachants. Leur activité : l’un comme l’autre est un pion dans une situation qui dépasse largement ce à quoi leur entraînement les a préparés. Et s’ils sont tout aussi détachés de leur contexte respectif et aimeraient être dans une situation plus sécurisée dans un salon ou une caserne, chacun refuse de jouer le jeu.
Le rythme des scènes de combat est aussi pour beaucoup dans la qualité de l’œuvre. Elles sont folles, outrancières, et parfois… absurdes (ce mot qui résume toujours la série). Et l’aspect LitRPG ne brise pas cette dynamique, les loots et autres level up sont considérés dans des zones de paix, durant les périodes d’accalmie. Cet équilibre rend aussi la saga accessible à un public de non-initiés qui ne comprendrait pas le charme de la lecture d’une fiche en plein milieu de la baston.
Une jeune série de niche
Mais ceci ne veut pas dire que Dungeon Crawler Carl est une œuvre parfaite et universelle. En effet, si la qualité de la série suit une croissance positive, notamment entre les deux premiers ouvrages, il n’est pas exempt de défauts. Certains choix ne séduiront pas tout le monde. Par exemple, le premier volet comprend des pavés d’informations sur le monde, juste après son introduction rythmée et intéressante.
L’humour de la saga ne correspond pas toujours au bon goût. Elle joue parfois sur la vulgarité, notamment concernant le personnage de Princesse Donut, avec des descriptions explicites de la violence, du sexe, et parfois des propos teintés de sexisme et de racisme. Il reste malgré tout préférable de lire le récit par soi-même pour se former un avis. Certains disent que la masculinité de Carl n’est pas toxique, d’autres citent plusieurs cas de violence gratuite envers les femmes et les minorités.
La saga, de l’autoédition à la série télévisée
À ses débuts, Dungeon Crawler Carl n’était disponible que sous format virtuel sur Royal Road en 2020. Face à son succès, la saga était ensuite disponible exclusivement en autoédition via Amazon jusqu’en 2024.
Cette année-là, l’éditeur Penguin Random House lance sa publication à travers Ace Books. Cette version va proposer quelques révisions professionnelles en raison des différences de formats. Elle introduit aussi un récit additionnel « Backstage at the Pinneaple Cabaret », un peu comme les « Coming to America » qui ponctuent American Gods.
Actuellement, la série compte 7 tomes en anglais et l’auteur a estimé qu’il pourrait aller à dix. Les tomes sortis ont eu droit à des versions audiobook sur Audible, lues par Jeff Hays. Très longues (entre 11 et 28 h), ces adaptations sonores font l’unanimité quant à leur qualité.
Pour l’instant, la VF en est à son second tome. La saga est disponible auprès des éditions Lorestone depuis novembre 2024. Et sa popularité n’est pas prête de s’estomper, d’autant plus, avec la promotion de la série télévisée, produite par la boîte de Seth McFarlane (Family Guy), annoncée en août 2024.
DCC au format BD : webcomic et roman graphique
La série Dungeon Crawler Carl franchit aussi les barrières du format roman à travers d’abord un webcomic. Publié sur le site Webtoon depuis juin 2025, il est réalisé par Aethon Books et Laurel Pursuit, avec une sortie hebdomadaire. Un nouvel épisode est publié chaque vendredi et suit la trame narrative des romans. Ce format a beaucoup profité à DCC qui a ainsi gagné un nouveau lectorat : certains, comme Kyrosia dans les commentaires, ont découvert celui-ci à travers le webcomic dans un premier temps.
L’existence du webcomic aurait rendu redondant une nouvelle adaptation graphique de DCC. En conséquence, quand Vault Comics a annoncé un roman graphique, ils ont opté pour une autre approche. Le monde ne s’arrête pas à Carl et Donut : d’autres participants prennent part aux jeux.
Dungeon Crawler Carl : Crocodile prend donc un protagoniste alternatif. Le mercenaire nommé Florin DuPont, un personnage secondaire, mercenaire homme-crocodile que Carl ne rencontre tard dans les romans. Ce roman graphique nous apprend ses origines et sa vie durant le jeu avant qu’il ne croise notre survivant. Crocodile a été financé via un foulancement ce début de novembre 2025. Il a atteint une cagnotte non négligeable de plus de 2 millions de dollars contre les 50 milles que demandait son objectif initial. Avec un tel succès, on peut espérer que d’autres projets similaires verront le jour.
L’expérience Dungeon Crawler Carl en jeux de plateau
Et qu’en est-il d’une adaptation en jeu étant donné le cadre et la popularité de la série? Il s’avère que ce sera bientôt une réalité grâce à Renegade Game Studios. En effet, fin juillet 2025, cette boîte qui est déjà connu pour ses jeux à licence My Little Pony, Power Rangers, et bien d’autres a déclaré qu’ils ont signé un deal avec l’auteur.
Dungeon Crawler Carl arrivera donc d’abord sur les tables… en tant que JDR en 2026. Selon l’annonce du président de Renegade, Scott Gaeda, cette adaptation mettra les joueurs dans la peau de survivants. Les parties suivront leurs aventures à travers le Crawl dans le respect de la brutalité et de l‘absurdité des récits.
Au-delà de cette annonce, ils n’ont toutefois rien dévoilé sur le jeu. Dans les discussions de fans, il est notamment question de si oui ou non ils tenteront de faire tourner DCC sous le moteur Essence20. Il s’agit du système d20 utilisé par l’éditeur pour les IP de la licence Hasbro et qui permet de les jouer en cross-over. Essence20 ne semble pas offrir beaucoup de connexions aux règles de l’univers de Dungeon Crawler Carl.
Le jeu de rôle ne constituera que le premier d’une série de projets ludiques autour de la licence, toujours selon Gaeda. Il sera suivi de jeux de plateau et de jeux de cartes, solo, coopératif ou compétitifs afin d’offrir l’expérience DCC pour tous les goûts. 235
Comment homebrew votre DCC?
D’autres jeux de rôle n’auraient aucun mal à adapter l’univers et surtout le concept de la saga en un scénario oneshot ou une campagne. Cependant, plutôt que d’aller vers DnD ou Pathfinder, il vaudrait mieux aller vers d’autres systèmes.
· Soit par, les jeux dans le style de DCC, non pas Dungeon Crawler Carl, mais Dungeon Crawl Classic, les jeux old-school. Simples à jouer et létaux, ils retranscrivent aisément la tension du dungeon crawling et la mort omniprésente. Les Mörk Borg ont déjà l’esprit violent et décalé de la série.
· Soit, pour une approche plus narrative, je recommanderai plutôt CBR+PNK ou Dungeon World, voire Shinobigami qui dispose d’une version futuriste. Dynamiques et accessibles, ils permettront de jouer cette aventure en tant que oneshot rapide en mettant en avant les dilemmes.
Enfin, la composante « téléréalité » peut se réaliser via une mécanique empruntée à un scénario de Call of Cthulhu, VIRAL. Il inclut un compteur de spectateurs et de dons qui incite chaque participant à l’audace en récompensant les actions choquantes. Avec ces outils, une bande de potes et une bonne ambiance, l’expérience Dungeon Crawler Carl est assurée.


Je ne l’ai pas vu mentionné dans cet article mais il y’a également une adaptation webtoon. Merci en tout cas car je ne savais pas que cette masterclass existait avant tout dans ce format.